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100% voilures tournantes

 

Appareil de légende : Alouette II
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Philippe BOULAY  
 

Le 20 février 1937 intervenait la première grande nationalisation de l'industrie aéronautique française. Parmi les nouvelles structures ainsi créées, la Société Nationale des Constructions Aéronautiques du Sud-Est (SNCASE) intégrait entre autres Lioré & Olivier et ses personnels, dont Pierre RENOUX, un ingénieur particulièrement brillant qui avait travaillé sur les autogires Cierva. Sous son impulsion les deux premiers aéronefs à voilure tournante de la SNCASE furent d'ailleurs des autogires, avec le C-34, puis surtout le SE 700 Alouette. Après la libération, Sud-Est expérimenta deux hélicoptères avec le concours d'une partie de l'équipe Focke : le SE 3000, version francisée du birotor FA223 et le petit SE 3101, construit autour d'un rotor de FW61 pour maquetter le vol du gros SE 3100 qui ne fut jamais construit. Puis ce furent l'élégant SE 3110, et le SE 3120 Alouette 1, dessinés par Renoux et un jeune ingénieur du nom de René MOUILLE.  
  
Après l'accident qui détruisit le SE 3110 en septembre 1950, les pressions exercées par les services officiels étaient montées d'un cran, amenant la direction à réorganiser sa structure chargée des voilures tournantes et à en réduire l'effectif ; Charles MARCHETTI, embauché peu avant pour seconder Renoux, fut affecté aux outillages sur un programme d'avion de combat, pendant que l'ingénieur en chef lui-même décidait de quitter la société... Du coup, René Mouille se retrouva seul à la tête d'une vingtaine de personnes pour mettre au point le SE 3120, "version agricole" du précédent. La machine vola le 31 juillet 1951, et une fois ses problèmes de vibrations résolus, révéla d'excellentes performances ; début juillet 1953, Jean BOULET battait à son bord un record de distance et un record de vitesse. Mais après qu'une série de plusieurs centaines d'exemplaires eût été envisagée, les espoirs d'industrialisation durent être abandonnés. L'appareil, trop complexe, n'était pas commercialisable.  

Cependant les records avaient apporté un regain d'intérêt -et un soutien budgétaire- de l'Etat, non sans qu'il fût assorti d'une exigence incontournable : il fallait faire voler avant deux ans un appareil susceptible de faire l'objet d'une série, ou bien arrêter l'activité voilures tournantes... Or le Bureau d'Etudes avait dans ses cartons sept avant-projets d'hélicoptères à turbomoteurs, désignés X-310 A à X-310 G. Il s'agissait de descriptifs établis par Pierre Renoux qui, convaincu de l'intérêt de cette formule de motorisation, suivait de près les travaux de Joseph SZYDLOWSKI. Le génial fondateur de Turboméca avait mis au point un turbomoteur à turbines liées de 260cv, dérivé de son Orédon et baptisé Artouste, qui pouvait convenir au nouvel appareil. À l'époque les turbines liées avaient beaucoup de détracteurs : plusieurs constructeurs américains avaient échoué à les adapter à des appareils existants, ne pouvant pas disposer d'une réserve de puissance. Néanmoins, l'équipe de la SNCASE pensait pouvoir réussir. Charles Marchetti, qui avait réintégré le BE hélicoptères le 1er juillet 1953 comme ingénieur en chef, alla défendre ce projet auprès du directeur technique André VAUTIER, et le X-310 G fut retenu, associé à l'Artouste, et désigné SE 3130.  

L'équipe se mit au travail. Le mot d'ordre de la direction était clair : faire vite, et faire simple ; les rôles étaient répartis tout aussi clairement : Marchetti, gestionnaire de la structure, assumait les relations avec la direction et avec l'extérieur. Mouille était chargé de dessiner l'appareil, et donc de proposer les solutions techniques.  

Bientôt il apparut que l'on pouvait envisager quatre à cinq places, ce qui situait le projet dans un créneau dont la concurrence était absente. Le moteur existait : Turboméca proposait désormais une version "boostée" de l'Artouste, qui offrait une bonne réserve de puissance. En fait, la motorisation à turbine a été la principale innovation appliquée au 3130, pour lequel il été fait appel en priorité à des solutions simples, et surtout éprouvées ; l'Alouette II n'a fait l'objet d'aucun dépôt de brevet à cette époque. Le boîtier de transmission principal fut basé sur celui du S-55, dont la SNCASE détenait la licence. Le moyeu du rotor principal fut extrapolé du moyeu La Cierva et des moyeux allemands, les pales principales furent conçues en "mixant", en quelque sorte, la technologie des pales de Bell et celle de Sikorsky.  

Ainsi naquit l'Alouette II. Premier hélicoptère construit en série par la SNCASE, le premier client ayant été la Marine Nationale, elle est entre autres et nombreux exemples le premier hélicoptère français à avoir fait l'objet d'une navalisation, en l'espèce l'étude et la réalisation de l'atterrisseur quadricycle et de la flottabilité de secours. L'Alouette II a finalement donné lieu, en plus des deux prototypes, à 923 exemplaires à GTM Artouste et à 382 SA 318 à GTM Astazou, civils comme militaires ; le dernier SA 318 C a quitté l'atelier vingt ans après le prototype. C'est autour de ces machines que Sud Aviation a construit son réseau commercial et sa structure d'après-vente. Il faut encore rappeler que l'Alouette II a battu le 6 juin 1955, aux mains de Jean BOULET, le record d'altitude toutes catégories confondues avec 8209 m., et aussi que c'est sur la base de sa cellule qu'a été construit le Lama, archétype de l'hélicoptère de levage, qui a enlevé le même record il y a trente ans (21 juin 1972, 12.442 m.) et le détient toujours. De quoi conforter la légende...  

Philippe BOULAY  

Cet article a été publié dans La Lettre du GFH/SNEH de janvier 2002 

Et pour heliforum.com le 14/03/2005.